"Les architectes ont un rôle à jouer dans l'expérimentation, le développement de l'esprit critique".

Le CAE a eu l'opportunité d'échanger avec Jorge Figueira et Gonçalo Canto Moniz atour de nombreuses thématiques actuelle, le Nouveau Bauhaus Européen, la qualité de l'environnement bâti, la pertinence des politiques architecturales, l'éducation, le logement ou encore le projet Urbinat financé par l'UE.

Dans le cadre de la Conférence Internationale "From Bauhaus to the New House", l'Ordre des Architectes (OA) du Portugal a récemment publié "Le Nouveau Bauhaus Européen : une opportunité de recentrer l'architecture". Cette Conférence Européenne sur les Politiques Architecturales reflète un engagement de la part de l'OA envers l'appel de la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ainsi que la confirmation de la mission des architectes comme agents de changement, en construisant le  Nouveau Bauhaus Européen et en proposant un dialogue sur les défis actuels pour un avenir post-pandémique et en croisant architecture, art, ville et politique : "Du Bauhaus à la Nouvelle Maison - Paysages post-pandémiques".


CAE : En juin dernier, l'Ordre des Architectes (OA) a proposé un dialogue sur les défis actuels d'un avenir post-pandémique, croisant l'architecture, l'art, la ville et la politique, répondant au défi de la Présidente de la Commission européenne de créer un Nouveau Bauhaus Européen; un débat sur les nouvelles formes d'habitat sous le signe de la durabilité. Pouvez-vous nous en dire plus?

Jorge Figueira : "Nous avons été immédiatement très enthousiastes lorsque nous avons entendu la proposition de la Présidente de la Commission européenne concernant le Nouveau Bauhaus Européen. Dans le cadre de la Présidence portugaise du Conseil de l'Union européenne, nous avons alors décidé d'organiser une Conférence Européenne des Politiques Architecturales sur ce thème. Cette conférence a eu le mérite de réunir des personnes des cinq continents pour échanger sur le  Nouveau Bauhaus Européen. Les principaux sujets étaient : (1) le Nouveau Bauhaus Européen au-delà de l'Europe, (2) la transformation de la ville post-pandémique, (3) l'architecture, l'art et la durabilité et (4) les politiques architecturales et le Nouveau Bauhaus Européen. Nous avons abordé le débat sous différents angles et expériences, avec des personnes de différents pays : Angola, Brésil, Macao ou encore Mozambique. Ils nous ont raconté des histoires de résilience sur la façon dont ils font face aux défis d'aujourd'hui, comme la pandémie et la crise climatique. Bien que les problèmes soient similaires, les solutions peuvent différentes. Dans la deuxième session, "transformer la ville post-pandémique", nous avons discuté des phénomènes d'urbanisme tactique afin de faire face aux urgences dans la ville, face à la pandémie. Dans la troisième session, consacrée à "l'architecture, l'art et la durabilité", nous avons échangé des études de cas illustrant les différentes façons de traiter ce concept urgent de durabilité par l'architecture, l'art et le design, ce fut en effet une discussion très "Bauhaus". La dernière table ronde était consacrée à la manière dont ces questions peuvent déboucher sur des politiques architecturales pratiques, notamment sous le thème général de la qualité architecturale.
Je tiens à mentionner notre principal orateur, Eduardo Souto de Moura, lauréat du Prix Pritzker 2011, qui est un admirateur légendaire de Mies Van Rohe. Eduardo Souto de Moura nous a ramené à cette époque de manière très vivante mais critique et nous a rappelé de ne pas opter pour des solutions faciles et immédiates face à la crise actuelle. Notre conférence a mis en avant la vision kaléidoscopique du Nouveau Bauhaus Européen et a clairement démontré comment nous pouvons discuter des sujets les plus urgents dans le cadre de ce concept. Pour le visuel de la conférence, nous avons utilisé le célèbre ballet triadique développé par Oskar Schlemmer, maître des formes au Bauhaus. Nous avons aussi évoqué le lançement d'un nouveau Ballet Triadique avec de nouvelles polarisations, de nouvelles connexions de type humain-robot, de nouveaux thèmes mais le même effort pour apporter de la beauté à ces temps troublés".

CAE : Gonçalo Canto Moniz,
vous avez participé à la session consacrée à l'architecture, l'art et la durabilité. Quels ont été les principaux points forts de cette session ?

Gonçalo Canto Moniz : " Je considère le Nouveau Bauhaus comme le principal "mariage" qui a permis d'introduire cette discussion dans la culture architecturale, même si les architectes essaient parfois d'éviter de discuter de cette question. La manière dont le programme du Nouveau Bauhaus est présenté dans ce dialogue stimulant, à travers différentes disciplines, sera cruciale et il sera très important de suivre les prochaines étapes. En ce qui concerne cette session, nous avons souligné que la co-création était la question la plus intéressante mais aussi la plus difficile pour les architectes et les artistes. Les principaux points forts de cette discussion sur la co-création ont été les types de méthodologies, la définition des outils et les limites de ce processus. Lorsque nous avons essayé d'ouvrir ce dialogue avec les communautés en abordant les questions de conception, nous avons constaté une expertise limitée ; d'un côté, nous avons l'expertise technique et scientifique des architectes, de l'autre, nous avons l'expertise quotidienne des citoyens.
Comment pouvons-nous travailler ensemble ?
Comment pouvons-nous mettre en place ces processus efficaces de co-création pour les villes et les espaces publics ?
Je voudrais également souligner la contribution de l'Académie à l'urbanisme et à la recherche en général, qui a offert une perspective critique sur l'urbanisme, sur ce que font les villes, mais aussi une perspective très réaliste en termes d'opportunités de penser les villes d'une autre manière".

CAE : Parlez-nous du titre de la conférence?

Jorge Figueira : "Nous avons emprunté ce titre au roman de Tom Wolfe pour souligner le fait que l'histoire a ses hauts et ses bas, et que nous ne pouvons pas passer de 1919 à notre époque sans savoir ce qui n'a pas fonctionné au cours de ce siècle de réussites et d'échecs. Nous savons bien que l'architecture moderne, la culture moderne ont leur lot d'échecs. Le livre écrit par Tom Wolfe est une vision très satirique, très ironique, très cruelle des masses de l'architecture. Ainsi, lorsque nous avons fait cette référence très subtile à Tom Wolfe, nous voulions affirmer que le Bauhaus n'est pas un mot de passe magique. Il est plein de contradictions, d'échecs, d'excès, d'incongruité. Néanmoins, nous apprécions pleinement l'intelligence et l'opportunité offerte par la Présidente de la Commission européenne de faire revenir une telle institution, qui est si importante pour nous, architectes, artistes et designers. Alors que Tom Wolfe était satirique à l'égard du modernisme, nous voulons voir le Nouveau Bauhaus Européen comme un signe d'espoir avec la connaissance historique de ce qui a mal tourné. Et ce qui a mal tourné ne peut être répété".

Gonçalo Canto Moniz : J'ai également fait une allusion dans le titre de ma présentation, "Du Bauhaus à notre espace public", en soulignant l'une des dimensions apportées par Tom Wolfe en 1981, à savoir l'idée que l'un des échecs de la ville moderne était le manque d'espace public. Nous devons créer une certaine familiarité avec l'espace urbain, ce n'est pas un espace abstrait. Ce n'est pas seulement un espace pour tout le monde, c'est notre espace public. Nous devons nous réapproprier l'espace public. C'est l'un des défis de la ville moderne. La plupart de nos discussions au cours de cette table ronde ont porté sur le fait de repenser les années 1960, lorsqu'il y avait une critique de la modernité en général, et d'une certaine manière du Bauhaus. Il s'agit d'une tendance de notre culture contemporaine : repenser les positions qui ont été très fortement soulignées dans les années 1960. Il s'agit également de repenser le rôle de l'architecte, qui va de l'expert technique à l'artiste porteur d'une vision de la ville, en passant par le médiateur entre les communautés, les gouvernements et le secteur privé. Bien sûr, le nouveau Bauhaus européen est aussi une idée de repenser le Bauhaus. Il ne s'agit pas de faire la même chose. Ainsi, le mot "Nouveau" crée peut-être cette idée de faire quelque chose d'égal au Bauhaus original, mais je pense que la position de la Commission européenne est très claire.

CAE : À votre avis, quels sont les principales possibilités et les principaux défis de l'initiative du Nouveau Bauhaus Européen?


Jorge Figueira : "Il y a de grandes opportunités. Nous sommes très enthousiastes par cette initiative de l'UE. Elle a surpris tout le monde, aussi bien les politiques que la société. C'était vraiment une grande surprise parce que nous, les architectes, n'avons pas l'habitude de susciter un tel intérêt au plus haut niveau en Europe, en mettant la culture, l'architecture, l'art et le design au centre de la discussion. C'était une sorte de réaction émotionnelle, car nous entendons toujours des choses liées à la finance, à l'économie et à la technologie, alors que le côté culturel des choses est en quelque sorte marginal. L'un des principaux aspects passionnants est le croisement des disciplines ; la solution à l'écologie et à la durabilité doit inclure tous les citoyens. Et, bien sûr, l'aspect culturel des choses, la participation des artistes, des architectes et des designers, etc. doivent être mis à contribution pour s'attaquer à ces problèmes très difficiles, pas seulement la technologie, pas seulement les finances. Le principal défi est d'éviter de transformer le NEB en un nouveau discours magique, une nouvelle doctrine, avec son propre jargon technocratique. Nous devons éviter cette solution technocratique. La pensée critique est ce que le Bauhaus signifie le mieux - une cacophonie d'idées, de discours, de personnes excentriques d'Europe et d'ailleurs, qui tentent de créer quelque chose de nouveau. Et c'est ce moment plus que chaotique et très créatif du Bauhaus qui m'intéresse, et non ce qui se développe ensuite comme une doctrine, ou quelque chose de figé. Donc, soyez conscients du jargon, soyez conscients de la doctrine. Soyez conscients de la technocratie et allons vers la façon de penser plus créative, inventive et libre que représente le Bauhaus".

Gonçalo Canto Moniz : "Il est très important de développer des initiatives qui ont trait à la recherche et à la pratique. Et bien sûr, c'est le domaine des architectes, des designers, des sociologues, des artistes ; un dialogue qui va promouvoir une pratique réfléchie. Au niveau académique, nous sommes intéressés par les projets offrant la possibilité de mettre en pratique la recherche. Au niveau professionnel, ils représentent une opportunité d'avoir une pratique plus réflexive. Pour illustrer cela, lors de la conférence de l'OA, Eduardo Souto de Moura, n'a pas voulu parler de ses projets mais a offert une véritable réflexion sur sa pratique avec l'influence de Mies Van der Rohe. L'interdisciplinarité représente une opportunité et un des défis à relever pour réaliser le Nouveau Bauhaus Européen. Un des défis permanents de notre société est le dialogue avec d'autres domaines ; bien que nous ayons l'intention de le faire, parfois le concept change, les méthodologies changent, d'un domaine à l'autre. C'est l'une des questions les plus importantes de ce programme, et l'autre est de mettre en dialogue des domaines qui sont habituellement opposés : la durabilité est toujours considérée comme une question environnementale, l'inclusion est toujours considérée comme une question sociale, l'esthétique est quelque chose qui appartient uniquement à la culture. Nous savons que la Commission européenne apportera un soutien économique important pour repenser le logement, mais les municipalités ne sont pas préparées à relever ces défis et à gérer le soutien financier sans disposer d'outils tels que des lignes directrices et des bonnes pratiques pour illustrer ce que les municipalités peuvent faire à travers l'Europe".

Jorge Figueira : "Nous devons avoir la capacité, les compétences et les outils nécessaires pour bien utiliser ces fonds européens et le NEB y contribuera probablement aussi. Mais ayons ces lignes directrices, sans éliminer la pensée critique, et je pense que le NEB a la possibilité de créer un cadre pour des solutions plus expérimentales dans le domaine du logement".

CAE: La crise du Covid-19 a multiplié les interrogations sur l'urbanisme et les enjeux climatiques. A vos yeux, comment les architectes vont-ils repenser les villes et réinventer les espaces ?

Gonçalo Canto Moniz : "Les architectes ont un rôle à jouer dans l'expérimentation, le développement de la pensée critique. Habituellement, nous avons cette idée que nous ne pouvons faire de la bonne architecture que si nous avons de bons clients ; c'est un changement systémique. Ce n'est pas le rôle des seuls architectes. La crise pandémique a déclenché cette idée systémique que les choses doivent changer. Nous ne pouvons pas faire les choses seuls, nous avons besoin de promoteurs, de municipalités, de citoyens qui ont une pensée critique sur la façon dont les choses fonctionnent. Bien sûr, il y a une discussion actuelle sur le logement. Aujourd'hui, nous avons besoin que la maison soit plus flexible, qu'elle intègre plusieurs activités comme le travail à domicile. Ce n'est pas une des activités qui est programmée quand on réfléchit à ce que devrait être la maison. Les emplois changent déjà, beaucoup de gens ont été engagés pour travailler du Portugal à Bruxelles mais sont basés au Portugal, donc leurs maisons doivent être adaptées et avoir une relation plus ouverte avec l'extérieur, avec des balcons ou des zones extérieures, mais aussi les espaces entre les deux. L'idée que l'espace public est un espace à usage intensif, non seulement pour les loisirs, mais aussi pour se déplacer à pied afin d'avoir accès aux équipements publics, comme l'illustre la ville en 15 minutes, où tout est à portée de main, de sorte que nous pouvons avoir une utilisation plus intense de l'espace public et moins d'utilisation de la voiture ou des transports publics. Les gouvernements, les architectes, les urbanistes et les citoyens doivent s'unir pour repenser la manière dont nous voulons redessiner nos villes. Ce sera le grand défi de créer les structures pour faire les choses ensemble - un défi, non seulement pour les architectes, mais aussi pour les municipalités, et aussi pour les citoyens qui doivent être préparés et avoir les outils pour contribuer à la discussion - ce qui n'est pas toujours très facile par manque de temps ou de capacité critique. Néanmoins, nous avons une société qui est bien éduquée et qui veut jouer un rôle dans les processus de décision, alors saisissons l'opportunité de ce changement systémique pour faire les choses différemment".

Jorge Figueira : "Certaines choses resteront les mêmes, car la nature humaine est la même. Nous allons essayer d'être aussi normaux que possible, comme nous l'étions avant la pandémie. Nous devons faire attention car le 20ème siècle nous a montré que lorsque nous sommes trop messianiques, trop volontaires ou trop radicaux, cela peut nous conduire à des catastrophes. Donc, changeons cela et restons les mêmes en même temps. Avant la pandémie, le rôle des architectes était de construire des structures et des bâtiments emblématiques ; cela a maintenant changé. Il était déjà sévèrement critiqué, mais avec la pandémie, les architectes sont maintenant appelés à avoir une intervention plus politique et structurelle dans la ville. Et cela signifie peut-être ce que nous pouvons appeler une renaissance de l'européanisme. Le principal changement est que l'européanisme est devenu une discipline naissante, car il ne s'agit pas d'embellir mais de survivre. Nous devons entreprendre non pas des transformations aléatoires des rues mais nous attaquer réellement à la crise pandémique avec le soutien des politiciens et de tous les citoyens qui doivent avoir un nouveau rôle dans notre société".

 
CAE :
Quelle est votre définition de la qualité de l’environnement bâti ?

Jorge Figueira : "Au Portugal, nous n'avons pas vraiment la tradition de parler en terme de qualité car nous ne voyons pas l'architecture comme un produit. Les produits ont des qualités, on pourait  qualifier ainsi une télévision ou un réfrigérateur. Nous voyons l'architecture, avec une certaine arrogance culturelle, je dois l'admettre, comme une œuvre d'art. Nous essayons maintenant de traiter ce concept de qualité et d'architecture et de le ramener au concept de produit. Mais la principale chose que je veux voir dans un bâtiment est l'utilisation intelligente des formes et des ressources. Et aussi, la sensualité, la beauté ou l'esthétique de ces formes et ressources. Je veux voir de l'intelligence, du sexy et de la rationalité. L'inclusivité, la rationalité qui consiste à rassembler les gens et non à les diviser. La qualité dans l'environnement bâti est quelque chose qui dure et qui peut passer les critères de l'éphémère. Je suis un peu critique à l'égard de ces 'modus operandi' tactiques de l'européisme car je ne sais pas s'ils vont durer. Ma définition temporaire de la qualité en architecture ? S'attendre à ce que les choses durent, qu'elles soient faites d'une manière intelligente et sensée."

Gonçalo Canto Moniz : "Lorsque nous réfléchissons au Nouveau Bauhaus Européen, dans le cadre de cette conférence ou du projet URBiNAT, notre intérêt s'est davantage porté sur le processus que sur les résultats. Bien sûr, les résultats finaux sont des éléments qui s'inscriront dans la durée et seront utilisés par les citoyens, mais nous sommes aussi intéressés par la façon dont les choses sont faites. La pratique de l'architecture évolue et fait appel à de nombreux acteurs. La façon dont nous dialoguons et nous engageons les uns avec les autres dans quelque chose dont nous pensons tous qu'il transformera l'espace, est aussi une démonstration de qualité. Donc, d'une part, le processus de faire/pratiquer est quelque chose que nous essayons d'enseigner dans les écoles d'architecture, et c'est une question importante de qualité".

CAE : Comment voyez-vous le vieillissement de vos bâtiments ? Gonçalo Canto Moniz

Gonçalo Canto Moniz : "Dans le cadre d'URBiNAT, nous essayons de construire avec la nature. Dans l'espace public, la nature est un matériau important pour organiser l'espace et créer des opportunités pour aborder les questions environnementales, ainsi qu'une utilisation plus conviviale de l'espace. Ainsi, dans le cadre du projet URBiNAT, les solutions basées sur la nature sont axées sur le matériau, non seulement comme une fin, mais aussi comme un moyen. Mais bien sûr, il s'agit aussi de la manière dont les gens perçoivent les matériaux et dont ils interagissent avec eux. Il y a également un changement dans la façon de penser à la matérialité. Lorsque nous avons construit des espaces publics dans les années 1990, nous avons utilisé des matériaux très sophistiqués (avec de la pierre de qualité, de l'acier, du verre). Nous avons essayé d'apporter une certaine qualité à l'espace public. Il y a maintenant un changement. Aujourd'hui, nous essayons de travailler avec des matériaux plus bruts, non seulement pour des raisons économiques et environnementales, mais aussi pour donner une touche humaine et naturelle au matériau. Nous développons des matériaux qui créent également une opportunité de "construction avec la nature" ; par exemple, lorsque nous construisons un mur pour résoudre une différence entre deux plates-formes, ces murs peuvent être construits non seulement comme un support mais aussi comme une opportunité de créer de la végétation. Il y a une autre façon de penser aux matériaux et à leur capacité à créer de l'espace et du changement, pour défier la solution technologique. En plus d'une solution technologique, il peut également y avoir une opportunité sociale".

Jorge Figueira : "Ce changement de matériau peut apporter un nouveau paradigme à l'environnement bâti. Si le béton était le matériau clé du 20e siècle, le bois pourrait être celui du 21e siècle. Il m'est difficile de reconnaître et de comprendre comment de grandes villes, par exemple en Afrique du Sud ou en Amérique du Sud, peuvent abandonner le béton et l'acier. Je vais aborder cette question avec un certain esprit critique, car l'idée que le bambou sera la solution à nos problèmes en Europe centrale ou à Sao Paulo au Brésil est assez délirante. Bien sûr, il doit y avoir des changements dans les matériaux, mais nous devons être prudents avec ces nouvelles tendances. Il n'y a pas de matériau "innocent", qui n'a pas d'intérêt commercial. Bien sûr, certains changements doivent avoir lieu et peut-être cela nous mènera-t-il vers une nouvelle architecture et un nouvel espace public".

CAE :  Selon vous, quelle est la pertinence des politiques architecturales ?

Jorge Figueira : "Nous oscillons. Les politiques n'ont cessé de croître, retirant le pouvoir aux architectes, limitant les architectes à la forme et au volume du bâtiment, puis les ingénieurs et les architectes d'intérieur prendront le relais. C'était la tendance avant la pandémie. J'espère que les architectes, avec la dimension sociale qu'ils apportent, seront en mesure d'avoir une présence et un pouvoir renouvelés. Nous avons appris nos leçons. Si l'architecte est quelqu'un qui ne fait que des bâtiments iconiques, baroques et de très haute technologie, il sera déconnecté des gens.  Peut-être que cette nouvelle modestie et cette nouvelle proximité avec les questions sociales, que nous avons toujours eues mais qui étaient à l'arrière-plan, sont maintenant passées au premier plan. Peut-être ouvriront-elles la voie à la création de certaines lignes directrices et politiques où l'architecture et le nouvel urbanisme seront prioritaires".

Gonçalo Canto Moniz : "Nous devons créer une relation étroite avec ceux qui mettent également ces politiques en pratique, avec les municipalités par exemple. Beaucoup de travail a déjà été fait, par exemple, la façon dont nous gouvernons nos villes ou la façon dont les techniciens qui sont appelés à concevoir le processus de régénération européenne doivent s'améliorer, non seulement en termes de bureaucratie, qui est parfois un défi en termes de développement du processus architectural, mais aussi dans la façon dont les architectes sont impliqués, par exemple, dans les processus participatifs dirigés par les municipalités. Il faudra donc que l'architecte adopte une nouvelle position pour créer les structures permettant de relever ces défis avec des méthodologies et des outils différents qui mènent à un modèle de co-gouvernance".

CAE: En tant que professeurs associés du département d'architecture de la faculté des sciences et de la technologie de l'université de Coimbra, quelles sont les tendances que vous observez chez la nouvelle génération d'architectes ? Quels conseils donneriez-vous aux jeunes architectes ?

Jorge Figueira: " Mon principal conseil est de ne pas abandonner l'architecture. Je pense que l'architecture n'a pas toutes les solutions, mais qu'elle représente une voie à suivre. Il est fondamental d'enseigner l'histoire pour comprendre les principaux facteurs qui ont conduit à cette situation. Pour que cette pensée critique soit mise en avant, nous devons enseigner, ou essayer d'une manière ou d'une autre de développer chez nos étudiants, la capacité à être critique vis-à-vis de la situation. L'architecture peut encore être un moyen d'intervenir à l'écart d'une vision du monde. Bien sûr, toutes les professions sont importantes. Il y a, peut-être, d'autres professions qui sont plus importantes aujourd'hui que les architectes, comme les médecins, etc. Mais nous sommes au milieu des choses. L'architecture peut acquérir une nouvelle pertinence. De même que nous ne pouvons pas imaginer un monde sans poésie, beauté ou sensibilité, nous ne pouvons pas imaginer un monde sans formes, sans histoire. Il y a des formes d'architecture résultantes qui conduisent notre façon de vivre et qui sont toujours quelque chose à laquelle on peut aspirer. Mes deux principaux conseils sont les suivants :  Soyez critique, et appréciez quand même l'architecture !"

Gonçalo Canto Moniz : "Ce qui est bien avec les étudiants en architecture, c'est qu'ils donnent toujours des conseils aux professeurs et à l'institution. Par exemple, les étudiants de l'université de Coimbra ont créé un programme "Há Baixa" dans un quartier défavorisé du centre-ville de Coimbra. Ils proposent un programme d'apprentissage parallèle, de manière très militante, où ils offrent leurs services pour créer des événements dans l'espace public avec des infrastructures architecturales et pour rénover des maisons pour des personnes ayant des besoins financiers. Ils ont invité quelques enseignants à les soutenir, et ont présenté ce qui doit être amélioré avec ces processus d'apprentissage. C'est une génération vraiment engagée, avec une approche militante. C'est très positif de voir cela et mon conseil serait de garder cette pensée critique vivante et/ou de la nourrir ! La base de cette pensée critique est que nous devons apprendre du passé pour agir dans le futur. Je pense donc que les écoles qui ont une approche technologique très forte pourraient perdre cette capacité à développer la pensée critique. La pensée critique est essentielle, lorsque les étudiants en architecture ont la capacité de nous mettre au défi avec des idées et des propositions éducatives différentes. Regardez le passé et ouvrez les yeux sur le monde, car les possibilités d'agir en tant qu'architecte sont très vastes!"

Revoir la conférence Européenne sur les Politiques Architecturales sur Youtube : 

 


A PROPOS DE

Jorge Figueira est architecte, professeur associé au Département d'architecture et chercheur au Centre d'études sociales de l'Université de Coimbra. Il est également membre du Conseil national de l'Ordre des architectes du Portugal. Plus d'informations ici.

Gonçalo Canto Moniz, est architecte, professeur associé au département d'architecture et chercheur au centre d'études sociales de l'université de Coimbra. Plus d'informations ici.

 

Zoom sur le projet URBINAT avec Gonçalo Canto Moniz

"A URBiNAT, nous sommes une équipe de professionnels et d'universitaires composée de 28 partenaires d'horizons et d'expertises différents, travaillant ensemble afin d'aborder le thème de la durabilité avec des solutions basées sur la nature. Coordonné par le Centre d'études sociales de l'Université de Coimbra, ce projet offre l'opportunité de développer une réflexion critique sur la manière dont les solutions basées sur la nature sont abordées pour la régénération urbaine des espaces publics. Il était important d'apporter une dimension sociale, avec la contribution des architectes, à ces appels à projets environnementaux de la Commission européenne, dans le cadre du programme Horizon 2020.
Il y a deux objectifs principaux :
-
Agir dans les quartiers de logements sociaux qui ont été construits aprés les années 50. Selon la planification moderne du logement, cela constitue encore aujourd'hui un défi pour les villes, car la plupart de ces quartiers ne sont pas intégrés dans la structure de la ville. Nous avons identifié plusieurs de ces quartiers, dans différentes villes européennes, qui partagent la même difficulté d'appartenance à la ville - non seulement la structure physique, mais aussi la structure sociale ;
- Discuter des solutions basées sur la nature
. Pour nous, nous ne construisons pas la ville avec des solutions spécifiques, nous construisons la ville avec l'intégration de solutions qui créent l'idée d'un espace. Nous avons donc proposé cette idée de corridor sain comme un ensemble de solutions intégrées. Elles sont identifiées et co-conçues par les citoyens, avec la communauté. Dans le cadre d'URBiNAT, nous développons une manière différente d'agir par rapport à la régénération des villes. Il est très important de créer un dialogue entre les stratégies politiques pour le territoire, et la vision des citoyens pour leur communauté. Les besoins des citoyens sont les rêves des citoyens".

CAE : Comment assurez-vous ce dialogue ?

"C'est le plus grand défi du projet. Nous travaillons à trois niveaux :
- En organisant des événements et des activités publiques qui créent une appropriation du projet par l'ensemble de la communauté.
- En utilisant une méthodologie d'atelier où nous travaillons avec de petits groupes de volontaires représentatifs de la communauté. A ce niveau, nous essayons de développer un processus plus interactif afin de co-concevoir des solutions.

- En développant une présence dans la rue pour assurer un niveau de proximité avec les citoyens. C'est aussi l'occasion d'écouter la communauté.
Nous devons passer plusieurs fois d'un groupe à l'autre, c'est un facteur clé de succès. Par ailleurs, nous mettons en place un conseil consultatif des parties prenantes, une commission composée de représentants des différents groupes, y compris des politiques, afin de promouvoir le dialogue et un processus de décision collectif.
Au niveau des architectes, il y a un changement concernant les outils architecturaux. Nous apprenons également des outils des sciences sociales, où nous pouvons créer un espace de dialogue et un processus créatif. Ce n'est pas facile, et ce que nous apprenons, c'est que c'est différent d'une ville à l'autre en Europe, parce que nous travaillons dans sept villes différentes, donc nous ne pouvons pas créer une méthodologie qui sera strictement mise en œuvre par chacune des villes. Nous devons simplement l'intégrer en fonction de la culture locale. Il est également très important que ce processus soit très souple et adaptable à la culture locale".

CAE : Comment mesurez-vous le retour d'information ?

"Nous avons nos propres indicateurs et nos propres moyens de mesurer le niveau de satisfaction et d'engagement. Il y a toujours des citoyens qui viennent à un atelier et puis qui ne viennent pas au suivant, mais il y a des citoyens qui maintiennent leur engagement tout au long du processus, et c'est un signe très important. Nous n'attendons pas une participation très élevée, mais une participation très engagée. Nous menons également des entretiens avec certains citoyens pour comprendre ce qui fonctionne bien et ce qui peut être modifié. Il est très important de repenser le projet et de réorganiser les activités en fonction de leurs réactions. Les approches tactiques et urbanistiques sont très importantes pour créer un sentiment d'engagement, car vous voyez les choses se produire, c'est tangible. Nous avons deux groupes de citoyens, trois villes qui commencent dès le début (villes pionnières) et un autre groupe qui commence un peu plus tard (villes suivantes). Ce que nous avons appris, c'est que nous devons commencer immédiatement par des actions très concrètes afin que les gens s'engagent par la pratique, et pas seulement par la discussion".

 

A propos d'URBiNAT
URBiNAT se concentre sur la régénération et l'intégration des quartiers urbains mal desservis. Les interventions du projet se concentrent sur les espaces publics et la co-création, avec les citoyens, de nouvelles relations sociales et naturelles au sein et entre les différents quartiers.
Les 16 et 17 juin 2022, le projet URBiNAT, financé par H2020, organise une conférence internationale à Milan sur le potentiel des solutions basées sur la nature pour une régénération urbaine plus inclusive. Pour participer, consultez les détails de l'appel à résumés et le formulaire d'inscription sur le site web d'URBiNAT : https://urbinat.eu/conference-2022/.



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